Deux textes motivés par le désir de partager ce que je vis avec les plus jeunes (en particulier ma nièce et mon filleul) et redigés lors de ma traversée du Canada. ![]()
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Voici quatre nouvelles inspirées par et rédigées lors de ma traversée Nord-Sud du Canada et des Etats-Unis, ainsi que par d'autres fragments de vie, la mienne ou celle d'autres proches et moins proches. Partager ces textes qui sont mes premières tentatives narratives menées à bout est un sacré pas pour moi. Tout commentaire, retour ou critique est hautement appréciable. Vous trouverez mon adresse mail en bas de page. ![]()
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Je déambule dans un verger empli de senteurs et bien plus de cent fleurs. Depuis peu je m'extasie devant ses beautés. C'est que je viens de les découvrir. Pourtant j'ai toujours habité ce verger. Pendant tout ce temps, comme la grande majorité de ceux vivant ici, j'avais les yeux bandés, les narines et les oreilles bouchées, la bouche bâillonnée. J'avançais dans le noir à tâtons. De temps à autre le chant du vent ou d'un papillon, l'odeur d'un bourgeon ou d'une lueur traversait mes bouchons. D'où cela venait-il?
Je me mis à chercher. Plus je cherchais, plus ces courts instants se produisaient, plus mes bâillons se déliaient. Je me suis alors aperçu que, de tout temps, d'autres avaient défait leurs oeillères, exploré le verger et laissé des traces, des modes d'emplois rédigés à la sauce de leur époque, de leur personnalité. Avec patience et concentration, deux de mes meilleurs amis même si nos relations ont été et sont encore souvent houleuses, mes sens me revenaient et j'explorais le verger en recoupant les sources d'informations à ma disposition. Deux observations s'imposent avant de continuer :
Petit à petit, tandis que l'oiseau faisait son nid, je me suis aperçu qu'en réalité si un guide me disait de chercher "anghur", un autre "enab", un troisième "uzum" et un dernier "estafil", ils ne m'orientaient pas dans des directions différentes mais vers ce petit fruit rond, parfois vert, parfois rougeâtre, que je nomme raisin - ceci est une récupération partielle d'une fable du poète persan Rumi. À la lumière combinée de ces multiples instructions mises en perspective par ma propre expérience, j'appris à identifier quels fruits étaient comestibles, lesquels ne l'étaient pas, quels fruits me nourrissaient vraiment, lesquels n'étaient que du vent. Il me restait cependant quelque chose d'essentiel à découvrir par moi-même. En effet, je ne me souviens pas l'avoir lu ou compris, dans ou entre les lignes de ceux avant moi : les fruits ne se savourent qu'une fois mûrs. Cela fait longtemps que j'ai identifié l'arbre qui donne le fruit appelé prière, recueillement ou méditation. Cependant, à chaque tentative de goûter à ses délices je me heurtais à une coquille trop dure, une absence de saveur ou une acide aigreur. En plus de dents, je me suis cassé la tête à lire et relire toutes sortes de manuels, persuadé de mal m'y prendre ou pire, de m'être trompé. Rien y faisait et je finis par me dire que ce fruit n'était peut-être pas fait pour moi. Enfin, j'essayais de m'en persuader pour me rassurer parce qu'au fond je savais que c'était un ingrédient qui fait l'unanimité. Quoi qu'il en soit, je découvris l'infinie richesse des subtilités enfermées dans la juteuse, parfois amère, parfois sucrée, observation de soi. Pour l'instant ça me suffisait. Je m'en suis tellement empiffré que, plus d'une fois, j'en ai frôlé l'indigestion. Goutte à goutte le ruisseau du temps s'est écoulé et j'ai commencé à ressentir le besoin de diversifier mon régime spirituel. Sans faire attention, je me suis assis au pied d'un arbre au hasard, cette zone à la fois dans l'ombre et au soleil. Au sol, juste à côté de moi, je vis un fruit qui semblait à parfaite maturité. J'ai suivi l'intuition de mes babines qui se pourléchaient d'elles-mêmes et j'y ai goûté. Je me suis régalé. Après quelques bouchées, je l'ai observé plus attentivement et me suis aperçu que, dans ma partie du verger, le fruit de la méditation a fini par mûrir. Le festin peut commencer. Les Japonais ont le haïku. J'ai crié "aïe!" en tombant sur le mien. Ce n'est pas ma tasse de thé, je préfère nager, et boire celle du lac.
Les Français ont le sonnet. Bien, je ne suis pas Français. "Mais tu le parles" me dira-t-on. Certes, mais je ne vous ai pas sonné. Les Perses ont le quatrain. Comme je suis au Guatemala, j'ai pris ce train pour percer les nuages. Voici le résultat de mes matinales Rumi-nations - au diable les frontières! Fidèle à l'ère du temps, soucieux de celui que je respire, je vous les déballe sans emballage, en vrac. Au Canada, le grizzly va te couper la tête; En Amérique latine, on va te faire sauter la tête; Où que tu ailles, ça va être ta fête. Vis avec ton coeur, pas la peur dans ta tête. --- Longtemps je t'ai pris pour moi, Puis j'ai entrepris de me débarrasser de toi. Je jubilai de cette spirituelle avancée. Once de fierté? Tu es toujours là… --- Comme un Romain, un corps sain : ce n'est pas toi. Hypersensible, acuité des émotions : ce n'est pas toi. Doué, une machine à penser : ce n'est pas toi. Lumière d'Amour, j'observe, reviens à moi. --- Hier j'étais fort et intelligent, l'ego était là. Aujourd'hui je suis misérable et bête, l'ego est là. "Nul ne saura jamais ni comment ni pourquoi Mais dès le chant du coq" : l'ego était là. Je suis né dans un monde merveilleux, rempli de secrets, de magie, de folie, de vie. J’y ai fait mes premiers pas, curieux et avide de découvertes, à la rencontre de ses richesses. Je n’étais qu’un enfant et ne me rendais pas compte que j’avais alors les pieds bien sur terre, bien plus que plus tard, lorsque je me targuai de devenir un adulte responsable.
En grandissant, j’ai trouvé un marécage dont mon innocence ne m’a pas mis en garde. C’était une nouveauté comme une autre. Qui plus est, presque tous les adultes semblaient se prélasser dans ses bulles vaseuses aux relents gastriques. C’était donc comme ça qu’on sortait du monde des petits pour entrer dans celui des grands ? Moi aussi je voulais être un grand, alors je m’y suis jeté. Passent les mois, les années, et la force de succion du marais fait son effet, à commencer par me faire oublier que j'y suis embourbé. Le marécage et ses sangsues sucent mon énergie, me font croire que j’ai toujours les pieds sur terre, que ceci est la réalité, et je continue de m’enfoncer. Quelque part en moi je sens l’inconfort de cet antre faisandé et je tente, par tous les moyens, de me réconforter, d’améliorer mon sort. Je fais de bonnes études pour avoir un bon métier, c'est à dire gagner assez de sous pour acheter de bonnes planches et me construire une cabane à remplir de choses réconfortantes qui, je pense, vont rendre mon existence meilleure. J’essaye de me faire un maximum d’amis et donc, envers et contre tout, de plaire pour ne pas me sentir seul. Malgré cela, rien n’y fait, je ne peux me débarrasser de ce sentiment indicible d’inconfort dont je ne suis même pas conscient. Alors je m’injecte des moments illusoires d’exister. Pour ces courts instants j’ai l’impression d'être vraiment en vie et c’est bon, même s’il faut payer le prix de la redescente, toujours un peu plus enlisé. Ces débattements sont comme ceux d’un homme pris dans les sables mouvants, ils ne font qu’accélérer son enfoncement. Ici le temps compte mais surtout passe, et avec lui mon existence. La peau devient flasque, tout aussi gluante que le marécage. Je deviens petit à petit zombie mais il me reste la meilleure des armes, l’introspection. Elle me pousse à identifier les causes de mon mal-être. Dans les codes d’ici-bas, j’ai tout pour avoir un sourire radieux. Je le peins sur mon visage mais mon coeur saigne, je ne peux supporter la douleur. Alors je cherche et cherche. Je finis par m’apercevoir de tout ce manège, que je suis embourbé jusqu’au cou dans ce marais. C’est une découverte horrible. D'abord, je me débats mais ne sais dans quelle direction aller. Le marécage use de toute sa science et de son puissant pouvoir pour me rappeler à lui et me faire oublier où je suis. Mais c’est trop tard pour lui, même si aucun de nous deux ne le sait déjà. Se succèdent les longues années dans la vase et les courtes respirations à la surface. Un beau jour, l'un de mes matelots du coeur, perché sur le mât, hurle à tout mon être “ TERRE EN VUE MON CAPITAINE !” Il y a donc une terre ferme ! Je redouble d'espoir et le marécage triple ses efforts pour essayer de me maintenir la tête enfoncée, et j’en suis conscient. C’est une sensation abominable, j’ai vu la terre mais elle semble inatteignable, j’ai senti les puanteurs du marais mais je ne parviens pas à les vaincre, je me débats dans ce qui semble être la pire des noyades. Je découvre que d’autres sont parvenus à sortir et dévore toutes les traces qu’ils ont laissées. J’enrage parce qu’ils sont unanimes sur le fait que la terre ferme et juste là, à un pas, alors que j’ai vu qu’elle était si loin. Je lutte de toutes mes forces pour aller dans sa direction mais elle ne fait que s’éloigner tandis que je ne fais que sombrer. J’entre dans les zones les plus sombres du marécage, les miennes, celles où l'on pense que tout arrêter net, là, est la seule solution qui reste pour sortir de cet endroit. Mais au plus profond de cette pénombre, je m’accroche à une petite lumière, celle du souvenir de la vue de la terre ferme. Jusqu’au jour où j’aperçois ce que les anciens, les guides, veulent dire par “la terre ferme est juste là”. A mon tour je fais ce tout petit pas qui m’a toujours semblé être un saut quantique. Ca y est, je suis sorti du marais et irradie de joie. Je gambade dans une plaine baignée de soleil et je me prélasse dans le parfum des fleurs, m’enivre d’air, je vis. Vient une averse, elle me surprend et me désoriente mais elle ne dure pas longtemps. Je retrouve vite mes marques. Mes pas me mènent vers la première colline, je peine à avancer. Au début j’en bave mais comme pour l’averse j’en suis rapidement à bout et continue ma bienheureuse progression. Ma route me mène par des forêts, des déserts et des montagnes et je suis à chaque fois étonné de ces nouveaux terrains que je dois apprendre à arpenter. C’est parfois très difficile, j’ai l’impression de ne plus avancer voire de reculer ! Le marécage essaye de me rappeler à lui mais je suis conscient de ses appels, de ces sirènes. Grâce à elles, je me souviens d'où je viens, où je vais, j’ai la joie au coeur pour continuer d’avancer. Car pour rien au monde je ne retournerai là-bas. Je préfère une nuit un peu froide ou mal-abritée, une tempête passagère plutôt que le faux confort de la cabane humide. J'ai plus de joie dans la solitude de la marche rythmée par le chant des oiseaux que par la compagnie de créatures des marais. J’ai encore beaucoup de route à faire et de choses à découvrir, à apprendre, à comprendre mais je suis sur la terre ferme et c’est inestimable. Les changements de climat ou de terrain ne sont des obstacles que si on les considère comme tels. Ils ralentissent sensiblement l’euphorique vitesse des premiers pas. Seul le jeune inexpérimenté s’épuise à courir à toute vitesse malgré le dénivelé. Rapidement il comprend le pas lent du sage. Lui profite plutôt des plantes printanières, de la fraîcheur du ruisseau, de l’ombre d’un arbre. Il sait qu’il finira par arriver en haut, alors autant rendre l’ascension agréable. Il y a de la joie dans tous les rythmes pour celui qui sait l’y trouver. Chaque humain sort un jour du marécage. La seule question est de savoir quand. À chaque instant, chacun peut faire le tout petit pas pour s'en extirper, pour partir explorer tous les paysages, saveurs et senteurs de la terre ferme. Ceux qui ne le font pas d'eux-mêmes, le feront accompagnés de la mort. Mais il sera trop tard pour l'exploration, son indicible bonheur. Le confort de l'ivresse
L'euphorie, sa caresse Prise de confiance Perte de conscience Tu te crois plus malin Pirouettes, fais le beau C'est bien le mâlin Il est en toi, ton ego Tu penses l'avoir écarté Ce serait trop beau Habile, t'as supplanté Pernicieux est l'ego Nectar et Ambroisie La finesse des parfums Le gout des produits fins Profiter de la vie Échappé du leurre Sobre est la presence Vivace l'existence Infini de saveurs Il fut une époque
Dans un temps fort reculé Dès que j’appris à parler Où sans me poser de questions Je vivais heureux avec mon imagination Sans la peur d'être loufoque Du haut de ma petite chaise Je racontais mes histoires C’était mon heure de gloire Saint-Nicolas découpait les enfants Dans un joyeux bain de sang Tout en m'empiffrant de fraises La famille était bon public Ecoutant mes sagas Riaient aux éclats Sans limites se bidonnaient Se poussaient aux cabinets Et je continuais mon cirque Dès que je su lire Du soir au petit matin Je dévorai des bouquins Me baignait dans la fantaisie Rien de plus réel que la magie Un bol de nuage saphir Arriva le temps de l’école Rencontrai une bande de pestes Accusèrent ma différence manifeste Découvris l’enfer de Sartre C’est pas de la tarte Me posa la pire des colles J’entrai dans l’adolescence Période de transformation Débordante de questions Mal à l’aise dans ma peau Je quittai mon milieu, l’eau Combattant le moulin de l’appartenance Dans un ultime élan Face au peloton d'exécution J’utilisai mon imagination Créer un savant mirage Rentrai dans mon personnage Pour une façade troque mon talent Paré de mon armure Je me donne bonne constance Dans le monde des apparences Je suis un mec, un vrai Je suis dur comme le grès Telle ma prison dont je me bâtis les murs En renonçant à ma rêverie D’un membre je me suis amputé Espérant pouvoir mieux marcher Face à la puanteur de l’inconfort Je cherche vainement un réconfort Sombre dans la vraie folie La mémoire s'effile Oublié le déguisement Bailloné à l’intérieur l’enfant Cherche lumière dans la nuit M’enfonce dans la vase du puit Tel un funambule sans fil Je pars aux quatre vents Il ne me reste plus que la fuite Les carottes sont cuites Déboussolé, je déplume ma raison Trouve la piste de l’intuition Accueilli par les éléments De l’oiseau de mauvaise augure Je me défais de l’emprise Et découvre avec surprise Diriger froidement l’inquisition Au bûcher mon imagination J’ai terni ma belle parure Patience mon amour Ton coeur je viens reconquérir J’en ai ma claque de souffrir Après l’avoir rasée Ta forêt je vais replanter J’amorce le retour Avec toi le monde est plus beau Mon idée la plus saugrenue Était de quitter mon esprit biscornu Dur de lâcher le bord Mais je n’ai pas de remords Il faut se jeter à l’eau Qu’ils me prennent pour un fou A cueillir des gouttes de pluie Nager dans le feu, sa poésie Promener un crocodile En plein dans le Nil Pouet pouet yabadabadou Après une longue journée
A vélo ou à pied Le corps et la tête Accusent les kilomètres Arrive le moment D’installer le camp Ici c’est bien ? Un peu plus loin ? Je pourrais pousser Jusqu'à la nuit tombée Au pire je m’installe Éclairé par la frontale Mais pourquoi pas S'arrêter là ? Pose ton sac Apprécie le bivouac Sans plus attendre Monter la tente Plus précieux que l’or J’allume mon trésor Seul sans solitude Proche de la béatitude J’ai trouvé un frère Le brasier, sa lumière Cerné par le calme J’observe la flamme Les heures peuvent s'écouler Je suis hypnotisé A prendre le temps De savourer le moment Les yeux dans les yeux Avec mon feu Cette nuit j’ai eu froid
Je me suis languis de toi Le ciel était déchaîné Maintenant s’est apaisé Dans un frisson Je repousse l'édredon Contemple le paysage Non, pas de mirage Les nuages s'écartent Pour le bleu ecarlate Les cimes sous un sortilège Sont couverte de neige Que de magie C’est bon d'être en vie Routine du matin J’entrave la faim L’eau qui chauffe Le thé qui réchauffe Je prends mes affaires en vrac Les fourres dans mon sac Un coup d’oeil en arrière J’ai parfois la tête en l’air En avant, marche ! Mais ou tu te caches ? Le jour est bien là Je ne te vois pas La brise me glace L’ombre m’enlace Certains jours je te fuis Pas aujourd’hui Par dessus les crêtes Tu passes soudain la tête Perces la foret De mille traits Répands des flaques de lumière Petits paradis sur terre Je les dévore Comme la petite mort Merci pour tes merveilles Ô divin soleil Prends garde à toi
Voyageur insouciant Bercé par tes pas N’oublies pas les éléments Soudain un éclair Trembles sous le tonnerre Voilà qu’arrive l’orage Totalement impromptu Maintenant fait rage Tu ne l’avais pas prévu Une fois piégé Il n’y a qu'à laisser aller Tu gardes le sourir Rien ne sert de paniquer Tu éclates de rire Une bonne histoire a raconter Mais il y a plus insidieux Que la menace des cieux Tout va bien Le soleil brille Tu suis le chemin Soudain coup de faucille Etrange douleur C’est la tempête intérieure Tu te demandes pourquoi Respires un grand coup Mais elle colle à toi Tu te trouves au fond du trou Tout devient noir Teinté de désespoir Comme pour l’orage Tu ne peux rien y changer Deviens plus sage Et laisse couler Garde le sourir Il n’y a qu'à en rire |
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Mai 2020
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