Je déambule dans un verger empli de senteurs et bien plus de cent fleurs. Depuis peu je m'extasie devant ses beautés. C'est que je viens de les découvrir. Pourtant j'ai toujours habité ce verger. Pendant tout ce temps, comme la grande majorité de ceux vivant ici, j'avais les yeux bandés, les narines et les oreilles bouchées, la bouche bâillonnée. J'avançais dans le noir à tâtons. De temps à autre le chant du vent ou d'un papillon, l'odeur d'un bourgeon ou d'une lueur traversait mes bouchons. D'où cela venait-il?
Je me mis à chercher. Plus je cherchais, plus ces courts instants se produisaient, plus mes bâillons se déliaient. Je me suis alors aperçu que, de tout temps, d'autres avaient défait leurs oeillères, exploré le verger et laissé des traces, des modes d'emplois rédigés à la sauce de leur époque, de leur personnalité. Avec patience et concentration, deux de mes meilleurs amis même si nos relations ont été et sont encore souvent houleuses, mes sens me revenaient et j'explorais le verger en recoupant les sources d'informations à ma disposition. Deux observations s'imposent avant de continuer :
Petit à petit, tandis que l'oiseau faisait son nid, je me suis aperçu qu'en réalité si un guide me disait de chercher "anghur", un autre "enab", un troisième "uzum" et un dernier "estafil", ils ne m'orientaient pas dans des directions différentes mais vers ce petit fruit rond, parfois vert, parfois rougeâtre, que je nomme raisin - ceci est une récupération partielle d'une fable du poète persan Rumi. À la lumière combinée de ces multiples instructions mises en perspective par ma propre expérience, j'appris à identifier quels fruits étaient comestibles, lesquels ne l'étaient pas, quels fruits me nourrissaient vraiment, lesquels n'étaient que du vent. Il me restait cependant quelque chose d'essentiel à découvrir par moi-même. En effet, je ne me souviens pas l'avoir lu ou compris, dans ou entre les lignes de ceux avant moi : les fruits ne se savourent qu'une fois mûrs. Cela fait longtemps que j'ai identifié l'arbre qui donne le fruit appelé prière, recueillement ou méditation. Cependant, à chaque tentative de goûter à ses délices je me heurtais à une coquille trop dure, une absence de saveur ou une acide aigreur. En plus de dents, je me suis cassé la tête à lire et relire toutes sortes de manuels, persuadé de mal m'y prendre ou pire, de m'être trompé. Rien y faisait et je finis par me dire que ce fruit n'était peut-être pas fait pour moi. Enfin, j'essayais de m'en persuader pour me rassurer parce qu'au fond je savais que c'était un ingrédient qui fait l'unanimité. Quoi qu'il en soit, je découvris l'infinie richesse des subtilités enfermées dans la juteuse, parfois amère, parfois sucrée, observation de soi. Pour l'instant ça me suffisait. Je m'en suis tellement empiffré que, plus d'une fois, j'en ai frôlé l'indigestion. Goutte à goutte le ruisseau du temps s'est écoulé et j'ai commencé à ressentir le besoin de diversifier mon régime spirituel. Sans faire attention, je me suis assis au pied d'un arbre au hasard, cette zone à la fois dans l'ombre et au soleil. Au sol, juste à côté de moi, je vis un fruit qui semblait à parfaite maturité. J'ai suivi l'intuition de mes babines qui se pourléchaient d'elles-mêmes et j'y ai goûté. Je me suis régalé. Après quelques bouchées, je l'ai observé plus attentivement et me suis aperçu que, dans ma partie du verger, le fruit de la méditation a fini par mûrir. Le festin peut commencer. La section commentaire est fermée.
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![]() Tramping, cycling, running, skiing, travelling, I keep exploring this amazing planet we live on. The following texts give an insight of my various wanderings. From poetry to trip reports or thoughts on particular subjects, this pages try to reflect how I travel through this modern world.
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Mai 2020
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